Les paysans sans terre

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http://ecologie.blog.lemonde.fr/2010/11/19/ces-paysans-victimes-de-laccaparement-des-terres-au-guatemala/

 

J'ai lu cet article sur la dépossession des terres des paysans. Ça me faisait penser à ce que disait Arendt sur le mal : le mal, c'est refuser à une personne sa place sur terre, c’est le refus de partager la terre avec d’autres hommes. Elle disait cela à propos du génocide des juifs. Eichmann a été exécuté pour ce refus : « Et parce que vous avez soutenu et exécuté une politique qui consistait à refuser de partager la terre avec le peuple juif et les peuples d’un certain nombre d’autres nations[…] pour cette raison seule vous devez être pendu. » (Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal, trad. A. Guérin, Folio histoire, Gallimard, 1991. p. 443 sq). Aujourd'hui, on pourrait utiliser cette théorie pour ces paysans sans terre. On assiste à la naissance d'être sans terre, d'être sans lieu, sans habitation. Zizek développe un concept intéressant, celui d'homo sacer. Ce concept désignait "dans l'ancienne loi romaine quelqu'un qui pouvait être tué en toute impunité, et dont la mort n'avait, pour la même raison, aucune valeur sacrificielle", (Zizek, Que veut l’europe ? Réflexion sur une nécessaire réappropriation, Champ Flammarion, p. 67). On pourrait les rapprocher des "sans papiers" en France. Un Homo Sacer est une personne exclue du droit, moins qu'un citoyen car pas défendu par les mêmes lois. Les paysans sans terre sont ce genre de catégorie. Ils touchent au néant. Ils sont retirés de la communauté des hommes. Etre un humain, c'est avoir une terre, habiter un lieu (on voit combien le mode de vie nomade des tziganes en France est problématique, le nomade, le sans terre, c'est l'autre absolu, celui qui n'a pas de visage, l'altérité pure). Je me souviens d'avoir lu dans Histoire de la folie de Foucault, une description édifiante de la nef des fous, ces barques qui naviguaient entre les villes, errantes sur les fleuves, et remplis de fous. Rejetés de partout, ils vivaient dans le pur transit, il n'avait pas de lieu, il vivait sur la frontière, sur la marge (c'est pire que d'être en marge, là, au moins tu es quelque part). Ils n'étaient rien. Les paysans sans terre ne sont presque plus rien. Moins que des hommes ?

Publié dans REMARQUES MELEES

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